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La vue sur la mer est éblouissante. Un de ces décors de carte postale qui aimantent les grandes fortunes mondiales. La villa et sa piscine bordée de pins, dans l’un des coins les plus courus de Saint-Tropez, invitent à la contemplation. La propriétaire des lieux doit tellement apprécier l’endroit qu’elle a même acheté… la maison d’à côté. A travers deux sociétés civiles immobilières (SCI), dénommées Zebra et La Grenouille, une certaine Sevil Aliyeva a acquis en 1999 la première demeure, qui comprend une quinzaine de chambres sans compter le trois-pièces du gardien, pour 5,2 millions d’euros ; puis la deuxième, en 2008, pour 15,9 millions.
Ces deux maisons tropéziennes ne représentent qu’une partie de son patrimoine immobilier en France : dans le 16e arrondissement de Paris, elle a aussi acheté en 2005, via une SCI du nom de Taureau, un hôtel particulier équipé d’une piscine intérieure. Montant de l’opération : 11,5 millions d’euros, payés sans qu’elle prenne d’hypothèque pour garantir un éventuel emprunt, comme pour presque tous ses achats.
Car ce n’est pas fini : Sevil Aliyeva, c’est son nom, possède aussi quatre appartements juste à côté des Champs-Elysées, d’une valeur totale de plus de 14 millions d’euros, via des SCI dénommées cette fois Succès, Grand Succès et La Chance. Avec un tel patrimoine immobilier, on pourrait aisément imaginer que cette élégante sexagénaire est une businesswoman de haut vol. D’autant qu’elle possède aussi des maisons dans The Boltons, l’un des quartiers les plus chers de Londres, où elle dit vivre, cette fois via des entreprises enregistrées dans des paradis fiscaux. Sauf que sur certains documents officiels liés à ses opérations immobilières en France, Sevil Aliyeva se déclare « compositeur de musique » – elle a bien sorti deux CD il y a une dizaine d’années, mais ils ne sont plus disponibles à la vente. Et sur d’autres documents, elle se dit « sans profession ».
Inconnue (ou presque) en France, Sevil Aliyeva porte un patronyme bien connu en Azerbaïdjan, cette ancienne république soviétique du bord de la mer Caspienne, riche en hydrocarbures et épinglée pour son niveau de corruption par l’ONG Transparency international… Elle est la fille de Heydar Aliyev, l’ancien président du pays, en poste entre 1993 et 2003. Et elle est aussi la sœur d’lham Aliyev, qui a succédé à son père à son décès, après des élections controversées. Le même Iham Aliyev qui dirige toujours le pays d’une main de fer, après avoir emprisonné ses opposants, et dont l’armée a été accusée de crimes de guerre lors du conflit contre l’Arménie en 2020 pour le contrôle de la région du Haut-Karabagh. Un frère que Sevil Aliyeva ne cesse de soutenir sur Instagram – c’est le seul compte qu’elle suit sur le réseau social : elle poste des vidéos du président azerbaïdjanais rendant visite à ses troupes, écrit des messages à la gloire de sa « guerre patriotique »… Un soutien indéfectible à ce frère qui est, aussi, impliqué dans plusieurs affaires de corruption et de blanchiment d’argent.
D’où viennent les 52 millions d’euros (au moins) que Sevil Aliyeva a investis dans des biens immobiliers en France ? Impossible de le savoir. Contactée, la sœur du président azerbaïdjanais n’a pas répondu à nos messages.
Des investissements immobiliers posant question, comme ceux de Sevil Aliyeva, ne sont pas rares en France. Bien au contraire. « L’Obs », associé à un collectif de journalistes indépendants, est parvenu à identifier 196 opérations immobilières sur lesquelles il est permis de s’interroger, réalisées par 62 personnalités étrangères : des proches de dirigeants politiques dont le revenu connu n’est pas suffisant pour couvrir la dépense, des individus impliqués dans des affaires de corruption, d’autres visés par des sanctions économiques pour violation des droits humains… Parmi eux, le fils aîné et l’épouse du président camerounais Paul Biya, l’actuel ministre de la Défense de l’Indonésie Prabowo Subianto, ou encore l’homme d’affaires émirati Khadem al-Qubaisi, aujourd’hui en prison pour sa participation à l’un des plus grands détournements de fonds de l’Histoire…
De Saint-Tropez au 16e arrondissement de Paris, de Saint-Jean-Cap-Ferrat à Montfort-l’Amaury, ces 62 personnes ont dépensé, entre 1985 et 2020, plus de 744 millions d’euros pour acheter des biens immobiliers en France. Des transactions sur lesquelles se pose légitimement la question d’un potentiel blanchiment. « Cet argent a été pillé par des élites dirigeantes qui privent leurs populations de l’accès à une éducation de base, à la santé, à l’eau potable », juge Sara Brimbeuf, la responsable du plaidoyer de l’antenne française de l’ONG spécialisée Transparency international. Et d’ajouter :
Cette somme vertigineuse vient corroborer le constat du Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (le Colb) : selon cet organe, qui réunit toutes les professions concernées par cette forme de délinquance, l’immobilier français fait face à une « menace élevée » en termes de blanchiment de capitaux. La majeure partie de ces 744 millions d’euros d’opérations immobilières ont d’ailleurs, comme dans le cas de Sevil Aliyeva, été réalisées sans que les acquéreurs aient besoin de recourir à une hypothèque sur la maison, le château ou l’appartement en question – donc probablement, avec leurs fonds personnels.
Des achats qui, pour la plupart, n’ont visiblement pas attiré l’attention des autorités françaises. L’enquête de « l’Obs » a pourtant été réalisée à partir de données publiées sur des sites officiels et accessibles à tout un chacun. Le même type d’investigation qui nous avait déjà permis de mettre en évidence les 350 millions d’euros de biens immobiliers détenus en France par une trentaine d’oligarques russes au début de la guerre en Ukraine (les pouvoirs publics ont désormais gelé pour plus de 700 millions d’euros de biens appartenant à des oligarques).
Parmi les 62 personnalités que nous avons identifiées et dont les investissements en France posent question, se trouve Khadem al-Qubaisi. Longtemps patron du fonds souverain des Emirats arabes unis, ce dernier a acheté, selon nos décomptes, pour au moins 117 millions d’euros de biens immobiliers sur le territoire français. Parmi lesquels un hôtel particulier avenue d’Iéna, dans le 16e arrondissement de Paris, pour 25 millions d’euros. Ou encore treize propriétés à Saint-Tropez, Ramatuelle ou Paris, acquises pour l’essentiel en 2014 et 2015.
Autant de biens dont l’homme d’affaires, que nous n’avons pas réussi à joindre, ne peut guère profiter : il purge depuis 2019 une peine de quinze ans de prison aux Emirats arabes unis pour son rôle clé dans un des plus importants détournements de fonds de l’Histoire, le scandale 1MDB en Malaisie. Dans cette affaire, un ancien Premier ministre du pays et ses complices sont accusés d’avoir soutiré au moins 3,5 milliards de dollars d’argent public, provoquant l’ouverture d’enquêtes dans de nombreux pays. D’après un document de la justice française dont nous avons obtenu copie, Khadem al-Qubaisi est accusé d’avoir détourné à son profit, en tout, plus de 472 millions d’euros, dont près d’un quart lui a servi à acheter ses propriétés en France…
A proximité de la Malaisie, en Indonésie cette fois, se trouve un autre propriétaire de biens immobiliers dans l’Hexagone dont l’investissement pose question : il s’appelle Prabowo Subianto et occupe depuis octobre 2019 le poste de ministre de la Défense de l’Indonésie. Un sacré retour en grâce pour cet ancien militaire, dont l’histoire personnelle, tortueuse, épouse celle de son pays, tout aussi sinueuse.
Longtemps marié à la fille de Suharto, le président du pays pendant plus de trente ans de dictature militaire (1967-1998), Prabowo Subianto a été la cible d’accusations multiples : dans les années 1980, il aurait ordonné l’exécution de plusieurs centaines de civils au Timor oriental d’après des organisations de défense des droits humains ; puis à l’aube des élections législatives de 1997, un an avant que des émeutes finissent par faire tomber le régime de Suharto, il aurait été impliqué dans l’enlèvement d’au moins neuf militants pro-démocratie. Autant d’accusations de violation des droits humains qui lui valurent d’être renvoyé de l’armée en 1998, peu après la chute de son beau-père. Et de ne pas pouvoir mettre les pieds aux Etats-Unis durant près de vingt ans, jusqu’à son retour en grâce à Djakarta, en 2019, pour des raisons politiques et sa nomination à la tête du ministère de la Défense.
Pendant cette longue mise au ban, Prabowo Subianto continue les affaires qu’il a débutées pendant le régime de son beau-père. Cela lui permet d’acheter en 2005 avec son fils, alors étudiant à Paris, un appartement situé rue du Faubourg-Saint-Honoré, juste à côté de l’Élysée, d’une valeur à l’époque de 1,79 million d’euros. D’après nos informations, son fils y habite encore aujourd’hui. D’où provenait l’argent utilisé pour cette opération ? Contacté, Prabowo Subianto n’a pas répondu à nos e-mails. Invité à déclarer ses ressources et son patrimoine en 2020 par la Commission d’éradication de la corruption de son pays, le ministre de la Défense indonésien n’a pas mentionné l’appartement parisien, d’après un document obtenu par nos confrères du magazine indonésien « Tempo ». Le directeur de la filiale locale d’Amnesty international, Usman Hamid, se fait, lui, définitif :
Un achat effectué par un président africain, le Togolais Faure Gnassingbé, laisse également perplexe. En 1997, à 31 ans, cet homme était encore étudiant en master aux Etats-Unis après être passé par le lycée militaire de Saint-Cyr et l’université Paris-Dauphine. Mais il a tout de même pu s’offrir une villa jouxtant le golf privé de Saint-Nom-la-Bretèche pour l’équivalent de 793 000 euros. A l’époque, sans activité professionnelle, il était surtout connu pour être le fils de Gnassingbé Eyadema, le président du Togo depuis 1967. Un père auquel Faure Gnassingbé succédera en 2005, à la mort de celui-ci. Interrogé via son directeur de communication sur l’origine des fonds ayant permis d’acheter la maison, Faure Gnassingbé n’a pas répondu.
La France est aussi un lieu privilégié pour la famille de Paul Biya, le président du Cameroun, au pouvoir depuis 1982. Son fils aîné, Franck Emmanuel Biya, a ainsi acquis pour près de 3 millions d’euros en 2004, à l’âge de 33 ans, une maison avec piscine dans le domaine privé très couru du Cap-Martin, à deux pas de Monaco. Lorsque nous avons demandé à Franck Emmanuel Biya comment il avait amassé la somme nécessaire à cet achat, il n’a pas répondu. Dans la famille du président camerounais, il n’est pas le seul atteint par la fièvre immobilière.
La femme du chef de l’Etat, Chantal Biya, est, elle, bien moins discrète que son beau-fils, comme en témoignent ses coiffures extravagantes et ses séjours clinquants à Genève avec son mari. Elle est « sans profession », d’après les documents officiels de ses entreprises, ce qui ne l’a pas empêchée de dépenser plus de 2 millions d’euros pour acheter trois appartements dans le 16e arrondissement de Paris, à Levallois-Perret et à Nice entre 1997 et 2009 – dont deux payés cash et le troisième financé par un emprunt à la BNP.
Des achats qu’elle nous confirme par l’intermédiaire d’un sénateur camerounais, Pierre François-Xavier Menye Ondo, qui est aussi notaire et son associé, avec seulement 1 % des parts dans deux de ces achats. Ce dernier nous fait parvenir « un commentaire très personnel » : « L’épouse d’un président de la République qui achète des biens de cette valeur, associée à un notaire qui exerce depuis trente ans, n’est-ce pas plutôt une preuve de modestie ? » L’avocat français William Bourdon, qui a mené quantité de batailles contre des détournements de fonds opérés par des dirigeants politiques, connus sous le nom des « biens mal acquis », pense tout le contraire : « Dans le classement des pays les plus corrompus, Il s’agit d’un pays en tête de liste. L’absence de profession de l’acheteuse est un indice, parmi d’autres, qui aurait dû alerter, et c’est un euphémisme, le notaire. »
Devant la multiplication de montages financiers aussi troubles, forcément, on s’interroge. La France se donne-t-elle vraiment les moyens de surveiller les investissements réalisés ? Et d’intervenir quand ces transactions servent à blanchir de l’argent issu d’activités illégales ? Pas pour l’avocat William Bourdon, qui s’insurge contre « les coups portés aux instruments de lutte contre la délinquance financière en France ». Il souligne :
Les affaires déjà jugées en France de « biens mal acquis » par des dirigeants politiques étrangers ont pourtant montré l’importance des sommes en jeu : 150 millions d’euros pour les avoirs de Teodorin Obiang, le vice-président de la Guinée équatoriale, ou 90 millions d’euros pour ceux d’un oncle de Bachar al-Assad…
Dans la lutte contre le blanchiment d’argent en France, les notaires, avocats et agents immobiliers sont en première ligne, fait aussi remarquer Sara Brimbeuf, de Transparency international. Au moindre soupçon – par exemple un achat qui ne correspond pas au niveau de revenus déclarés ou qui a été effectué via une société-écran dissimulant le nom du bénéficiaire effectif du bien acquis –, tous ces professionnels sont dans l’obligation de le déclarer à Tracfin, la cellule française de renseignement financier et de lutte contre le blanchiment. Sans ces avertissements, ce service est « aveugle » et ne peut pas enquêter.
Sauf qu’en pratique, ce type de saisine est rarissime… En 2020, les notaires français n’ont fait que 1 546 signalements sur un total de… 4,65 millions d’actes, dont plus d’un million de transactions immobilières. Quant aux déclarations faites à Tracfin par des avocats, elles sont encore moins nombreuses : à peine une quinzaine ont été enregistrées en 2020… Dans une récente évaluation, le Groupe d’Action financière (Gafi), un organisme intergouvernemental contre le blanchiment, estime ainsi que le système de lutte anti-blanchiment mis en place par la France est globalement efficace… sauf dans le secteur de l’immobilier, qui est pourtant « exposé à des risques… importants ». Et d’inciter notamment les agents immobiliers et les notaires à respectivement « renforcer » et « poursuivre » leurs efforts, qui restent récents et insuffisants en matière de déclaration de soupçons et d’identification des bénéficiaires effectifs.
Pourtant, si les notaires – comme les avocats – n’appliquent pas la procédure prévue et ne font pas état de leurs soupçons, ils peuvent être sanctionnés par leurs organisations professionnelles : c’est l’une des missions des différentes chambres des notaires – en principe, une par département. À Paris, celle-ci a été présidée de 2010 à 2012 par Christian Lefebvre, un professionnel renommé qui est actuellement le Médiateur du notariat. Mais c’est aussi ce notaire dont le nom apparaît en haut des actes de vente de trois appartements achetés dans un même immeuble par Sevil Aliyeva, la sœur du président de l’Azerbaïdjan, aux Champs-Elysées en 2006. Joint par téléphone, Christian Lefebvre nie toute implication dans ces transactions, avant de nous raccrocher au nez.
Par écrit, nous lui demandons si cette situation ne le place pas en position de conflit d’intérêts potentiel : il ne répondra pas à cette question, mais indique qu’il s’est contenté de travailler pour le vendeur, soit une même société pour les trois appartements. Selon lui, il n’a « probablement pas rencontré l’acquéreur », c’est-à-dire Sevil Aliyeva. Pourtant, d’après le Conseil supérieur du notariat, le fait qu’un notaire travaille pour le vendeur ou l’acheteur ne change absolument rien : il doit saisir Tracfin au moindre soupçon. « Chaque notaire intervenant est responsable de l’acte et doit satisfaire aux obligations de vigilance », explique Mathieu Ferrié, responsable de la communication au Conseil supérieur du notariat.
Dans un autre achat immobilier de Sevil Aliyeva à Paris apparaît une autre figure du notariat français : Xavier Lièvre, troisième vice-président du Conseil supérieur du notariat, la plus haute autorité de la profession. Un professionnel qui apparaît également dans la transaction de l’appartement acheté par Prabowo Subianto, l’actuel ministre de la Défense indonésien – il était le notaire du vendeur. Contacté, il explique que « les notaires sont tenus au secret professionnel » et « ne peut donc rien répondre ». Il ajoute que lorsque « les professionnels concernés font une déclaration de soupçon, ils n’ont pas à bloquer les opérations, sauf personnalités concernées pas des listes spéciales, comme celles actuellement diffusées du fait de la guerre en Ukraine, et Tracfin est libre des suites à donner dont les professionnels n’ont rien à connaître ».
Une ligne qui est celle, aussi, de David Ambrosiano, le président du Conseil supérieur du notariat, confronté à notre enquête et aux critiques des ONG. Il rappelle que sa profession a rédigé plus de 5 millions d’actes authentiques en 2021.
Dans les centaines de pages de documents que nous avons consultées, le nom d’un autre notaire revient régulièrement : Michael Reza Pacha, installé un temps à Beaulieu-sur-Mer (Alpes-Maritimes). C’est par exemple lui qui a signé, en 2004, l’acte de vente de la maison du Cap-Martin achetée par Franck Emmanuel Biya, le fils du président camerounais. Il a quitté le notariat en 2009 et s’est reconverti dans les affaires – comme un projet de mine d’or au Mali. Mais avant cette reconversion, il a notamment enregistré en 2004 la vente d’une grande villa à Roquebrune-Cap-Martin pour un montant de 2,5 millions d’euros. L’acheteur ? Une entreprise domiciliée dans les îles Vierges britanniques, baptisée Kenaston Properties Limited. Mais qui en est le vrai propriétaire ? D’après les Pandora Papers, ces documents obtenus par l’ICIJ, le Consortium international des journalistes d’investigation, il s’agit d’une certaine Zhanna Volkova.
Si cette quadragénaire russe est inconnue en France, son compagnon depuis 2018, lui, est un visage bien connu en Russie : il s’appelle Kiril Shamalov et c’est l’ancien gendre de Vladimir Poutine. Un homme d’affaires visé par des sanctions américaines depuis 2018 et britanniques depuis l’invasion de l’Ukraine. Selon des e-mails échangés en 2019 entre Zhanna Volkova et Kiril Shamalov, obtenus par le website russe indépendant « Important Stories », elle lui envoyait régulièrement les factures d’entretien de la villa pour qu’il s’en charge… Contactés, Zhanna Volkova et Kiril Shamalov ne nous ont pas répondu. Le notaire Michael Reza Pacha, lui, avait l’obligation de connaître le bénéficiaire effectif de la vente quand il a enregistré la transaction en 2004 : il lui fallait savoir qui se trouvait derrière l’entreprise Kenaston Properties Limited dans un paradis fiscal connu pour son opacité… Interrogé, le notaire explique :
A-t-il, de ce fait, saisi Tracfin lors de l’achat de cette maison ? Impossible à savoir : le notaire se dit tenu par le secret et indique que répondre à notre question « serait une faute professionnelle grave ».
Le nom de Michael Reza Pacha apparaît également dans d’autres transactions menées par des oligarques russes, dont l’origine de la fortune pose question. En 2006, son étude a ainsi rédigé un acte notarié pour l’entreprise d’un certain Vadim Moshkovich, l’un des oligarques convoqués par Poutine lors d’une grande réunion au Kremlin le premier jour de la guerre en Ukraine. L’opération visée par le notaire ? Une hypothèque pour l’achat d’un terrain à Nice, au bord de la mer, pour 11 millions d’euros, où le milliardaire avait pour projet de construire quatre villas.
Sept mois plus tard, le nom de Michael Reza Pacha apparaît dans la vente d’une autre villa, cette fois pour 6 millions d’euros, à l’oligarque Andrey Gorbatskiy, soupçonné par la justice de son pays d’avoir participé au détournement de 17 millions d’euros à une banque, d’après la presse. En 2008, il rédige l’acte notarié de la vente de plusieurs villas sur un énorme terrain au Cap-Ferrat (Alpes-Maritimes) achetées pour 83 millions d’euros (!) par Alexander Ponomarenko, un homme d’affaires réputé proche de Poutine et placé sous sanctions européennes après l’invasion de l’Ukraine. Comment ce notaire se retrouve-t-il mêlé à autant de ventes à des oligarques ?
Seule certitude : les données publiques de l’administration que nous avons consultées et analysées ne disent pas tout. Car certains propriétaires concernés prennent davantage de précautions pour se dissimuler. En utilisant par exemple un prête-nom, dont le patronyme sera apposé sur les documents officiels de la transaction. Ainsi, un appartement de quatre pièces dans le 7e arrondissement de Paris a été vendu en 2006 à un certain Rafael Sarria Diaz pour plus de 3 millions d’euros. La spécialité de cet intermédiaire vénézuélien, que nous n’avons pas pu joindre, est de blanchir de l’argent pour le compte de trafiquants de drogue ou d’officiels du régime de Caracas dans l’immobilier, selon le département américain de la Justice, qui l’a mis sous sanctions.
L’investisseur souhaitant rester dans l’ombre peut également dissimuler son nom derrière une cascade de montages sophistiqués. Parfois, les entreprises possédant de l’immobilier en France sont elles-mêmes détenues par des sociétés établies dans des paradis fiscaux : Bahamas, îles Caïmans, îles Vierges britanniques, Bermudes, île de Man, Panama, Liechtenstein… Dans les bases de données que nous avons analysées, nous avons ainsi remonté la trace de près de 13 600 logements liés à 2 475 sociétés basées dans des pays connus pour leur fiscalité douce et leur manque de transparence.
Ainsi, parmi les intimidantes propriétés du Cap-Ferrat, flanquées de courts de tennis et de piscines, beaucoup sont la propriété de sociétés françaises d’apparence banale. Mais la lecture des documents enregistrés au tribunal de commerce fait apparaître des montages plus complexes. Au cadastre de la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat, on compte ainsi 32 parcelles où des biens immobiliers sont la propriété d’entreprises enregistrées dans des paradis fiscaux.
Associé-gérant hongrois, administratrice russe, holdings basées au Luxembourg, aux Bahamas, ou à Chypre… la lecture de ces austères actes administratifs donne vite le tournis. Qui sont les vrais bénéficiaires ? Qui profite de la vue sur le bleu azur de la Méditerranée ? Pour chaque propriété, chaque société, chaque acquéreur, vouloir remonter jusqu’au bénéficiaire final est un parcours du combattant, sans certitude aucune de pouvoir aboutir à la vérité. Dans l’océan de l’immobilier français, nous avons dévoilé le sommet d’un iceberg d’argent sale, mais nous sommes loin d’en avoir vu la totalité.
C’est un lot de 131 fichiers texte intitulé « Fichier des locaux et des parcelles des personnes morales ». Il comporte 16,1 millions de lignes et a été publié sur internet en mars 2021 par le ministère de l’Economie. Des tableaux où figurent les 16,1 millions de biens immobiliers détenus en 2020 par des « personnes morales » en France, que ce soient des entreprises – de la simple SCI familiale à la multinationale cotée en Bourse – ou des collectivités publiques (Etat, collectivités locales, offices HLM…). Avec chaque fois la ville et l’adresse postale.
A partir de ces 1,74 million de « personnes morales », nous avons réussi à remonter aux noms des dirigeants de ces sociétés et de leurs bénéficiaires effectifs. Parmi tous ces noms, nous avons ensuite tenté de trouver la présence de personnalités. Nous avons utilisé Wikidata, la grande base de données qui se cache derrière l’encyclopédie en ligne Wikipédia, pour établir des listes d’hommes politiques de premier plan, chefs d’Etat et de gouvernement, ministres et parlementaires. Nous nous sommes également servis du site OpenSanctions, qui compile les noms de personnalités visées par des sanctions – à partir, notamment, des « listes noires » publiées par l’Union européenne, l’ONU, Interpol ou le département du Commerce américain.
Une fois ces personnalités identifiées et leurs biens immobiliers en France répertoriés, nous avons multiplié les demandes aux services de la publicité foncière (SPF), une administration locale qui permet à n’importe quel Français de connaître l’identité des propriétaires successifs d’un logement et d’obtenir une copie des actes de vente. Ces démarches nous ont aussi permis de retrouver le nom des notaires impliqués et les conditions précises des transactions effectuées (prêt, hypothèque, paiement en cash…).
Un travail fastidieux et long de plusieurs mois, qui montre l’intérêt de l’open data ou accès aux « données ouvertes » qui permet à tout citoyen de connaître et évaluer l’action publique. Ce droit, garanti par la loi du 17 juillet 1978, est encore trop souvent remis en cause par les responsables publics. Plus il sera respecté et plus les médias auront accès à des données sensibles qui, ensuite, faciliteront des enquêtes comme la nôtre.
D'une manière semblable, la France attire aussi la misère du monde entier ; mais alors et véritablement très bizarrement, ça ne lui rapporte absolument rien du tout et ça lui coûte même une véritable fortune pendant des années et des années… Cherchez l'erreur…
Macron se rend au Maroc en octobre prochain. On croit savoir qu'il va demander au roi Maroc combien lui rapporte le commerce du kif, puisque le petit roi possède de grandes propriétés en France (à Paris surtout). Il a sans doute d'autres rentrées, les 12 Mds / an du kif sont à peine suffisants. Mais chut je n'ai rien dit !
Courchevel et Biarritz sont pas mal non plus pour se faire du fric en vendant de l'immobilier à des dictateurs, des mafieux et autres trafiquants…
toute chose a son origine. ne vous impatientez pas. même si la nuit se prolonge, le soleil finira par se lever.
L'Obs fait du Médiapart ? Enfin !

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